À Madrid, mars 2011. Je rentre dans un bar que je ne connais pas pour pratiquer mon sport madrilène préféré: manger un «pincho de tortilla» avec un «café con leche».
Puisque chaque tortilla est différente, c’est toujours une aventure, parfois dangereuse, de goûter les recettes méconnues.

Le patron, un homme dans les 50 ans, la tête bien peuplée de cheveux blancs, met son temps à prendre la commande.
Il discute avec une cliente. La tchatche classique du bar:
«T’as vu ce que le Gouvernement vient de proposer? C’est la honte».
Je réussi à commander mon pincho (pas celui de la photo, il était meilleur que celui que j’ai commandé). J’en rajoute un sandwich mixto, j’avoue, j’avais faim, et la bouffe espagnole ça nous manque aux cruasanos!
Monsieur le serveur continue de tchatcher avec la cliente. On voit bien qu’elle est une habituée du bar, une voisine de quartier.
J’attends les mets désirés. J’ai faim. La discussion du serveur avec la cliente se transforme vite en un monologue. «ZP (aka de Zapatero, le premier ministre) va finir avec ce pays. C’est pas possible, c’est un gouvernement de bâtards, que des fils de pute», dit-il.
J’essaie de ne pas trop l´écouter. Je prends le journal El Mundo, bien connu par ses attaques violentes au Gouvernement socialiste.
Monsieur le serveur continue son one man show pas marrant. «C’est pas possible ce qu’ils sont en train de faire…». Pas la peine de tout reproduire. Il commence à se chauffer tout seul et finit par dire qu’il a «envie de tous les tuer. Depuis des années.»
Finalement, mon pincho de tortilla, mon café con leche et mon sandwich mixto arrivent, mais je n’ai plus faim. Je mange vite, je paye et je prends des notes pour ce billet.
Malheuresement cette situation ici décrite n’est pas un cas isolé. C’est l’image d’un état d’âme collectif, parfois extrême, où le serveur arrive à crier en public qu’il a envie de tuer quelqu’un (tout le Gouvernement, même) devant un client inconnu (moi), dans son bar, comme si c’était la chose la plus normale au monde.

C’est ne pas moi qui va défendre le Gouvernement Zapatero.
Mais c’est assez inquiétant de voir qu´un certain état de «guerrecivilisme» n’a pas disparu de l’Espagne, même si ça fait 72 ans du coup d’État du général Franco, et malgré une Transition démocratique, perçue comme exemplaire ici et là.
On a un ex-président qui fait le tour de monde avec un discours assez similaire à celui du serveur.
José María Aznar a fait à nouveau scandale après avoir dit aux élèves de la Columbia Bussiness School de New York que l’Espagne «ne pourra pas payer sa dette». Sympa, à un moment où les requins des marchés regardent l’Espagne comme un succulent dessert, après la Grèce, l’Irlande et le Portugal.
Mais bon, ce type a dit aussi que Kadhafi est devenu un ami de l’Occident grâce à la guerre d’Irak, qu’il a lui même lancé avec ses copains Bush et Blair.
La crise de l’immobilier, le record du chômage, la lutte contre le terrorisme de l’ETA et un Gouvernement qui semble improviser chaque décision et chaque projet de loi, ont rallumé les braises de cette haine. Je ne veux pas dire avec ceci qu’on est aux abords d’une nouvelle Guerre Civile -j’espère- mais ça craint l’Espagne, quand même.