Les lecteurs du Cruasán Ambulante le savent bien. On n’est pas souvent d’accord avec le Gouvernement. Qu’il soit de gauche, de droite, en France ou en Espagne.
Mais hier un membre du gouvernement espagnol -le nouveau, celui de droite- a dit que les épisodes récents de violences en Espagne après des manifs contre les mesures d’austérité à Valencia et Barcelona donnent une fausse image du pays. Je suis d’accord.
Même si on n’habite plus là bas, je ne pense pas que ces images, qui ont très vite fait le tour du monde -jusqu’à la une du New York Times-, soient un reflet du climat sociale.
Ces violences pourraient se déclencher, si le gouvernement continue a imposer l’austérité a tout prix (et ce sont des prix astronomiques).
C’est clair que le nouveau gouvernement est plutôt maladroit dans la gestion de ces mouvements de contestation, comme le signale notre ami Mompontet dans son dernier Monoeil.
Mais je pense qu’il y a un intérêt quiconque a faire tourner ces images en boucle comme si l’Espagne allait péter a la Grecque. Pour l’instant il ne s’agit que de deux épisodes séparés et différents.
C’est connu : «Never let the truth stand in the way of a good story» (Ne laisse jamais la vérité empêcher une bonne histoire). Ça fait vendre, cliquer, allumer la télé…
Bref. Tout ça pour vous dire que ça chauffe entre le Gouvernement et les jeunes contestataires, mais l’Espagne c’est aussi -surtout?- ça :
Une ‘rumba’ chantée dans une banque pour dénoncer l’endettement fou de l’achat immobilier. «Ce n’est pas une crise, ça s’appel capitalisme» disent-ils.
Le Tribunal suprême a condamné le juge Garzón à onze ans d’interdiction d’exercer pour avoir enquêté un grand réseau de corruption et avoir instruit un procès contre les crimes du franquisme.
La décision du Tribunal suprême tombait la veille de la présentation d’une réforme du marché du travail très polémique. Le gouvernement prévoit la baisse des indemnités de licenciement.
Une semaine forte en actu, donc, qui a été éclipsée par ce qui aurait dû rester comme l’anecdote du jour: les critiques aux Guignols de l’info de Canal+.
La fédération Espagnole de tennis a menacé de porter plainte. Le Gouvernement et même le chef de l’opposition, Alfredo Pérez Rubalcaba, ont critiqué durement les marionnettes en latex. L’Ambassadeur espagnol en France a envoyé une lettre aux médias français pour exprimer le mécontentement officiel du Royaume.
Pour cause: une série de blagues des guignols sur le dopage en Espagne après le scandale Contador. Le pire c’est qu’ils ont touché à l’intouchable Rafa Nadal.
Sur les réseaux sociaux, nombreux Espagnols, déchaînés, ont demandé la fermeture de Canal. Ils ont même souligné le manque de trophées gagnés par les sportifs français ces dernières années. La blague de la télé payante serait de la pure jalousie, disent-ils.
Alors que 22% de la population est au chômage et que l’économie du pays s’écroule, certains pensent qu’on ferait mieux de s’occuper des vrais soucis au lieu de perdre notre temps à critiquer les guignols. Normal, on a envie de dire.
Certains ont préféré de répondre avec un peu d’humour. Ils demandent de se faire envahir à nouveau par la France, comme en 1808, considérant les politiciens actuels des incapables. Et ont même créé une pétition en ligne.
Les élections régionales et locales sont passées et comme prévu, même plus que prévu, c’est la défaite catastrophique des socialistes. Les conservateurs du Parti populaire ont gagné des fiefs historiques de la gauche, comme la mairie de Cordoue, traditionnellement très à gauche.
Les campeurs de Puerta del Sol (Madrid) et toutes les villes indignées déclarent ne pas se sentir concernés par les résultats, car c’est un ‘changement du système’ et une ‘vraie démocratie’ qu’ils réclament.
Ils comptent continuer les ‘acampadas’, les campements, jusqu’au prochain dimanche 28 mai. Pourtant, quelques signes de déchirement commencent à se manifester chez les indignés.
Depuis le mouvement No Les Votes #nolesvotes (Ne Les Vote Pas), les protestataires critiquent l´aspect que Villa Indignados et ses campeurs madrilènes sont en train de lui donner. De même, la commission d’espiritualité fait beaucoup parler. Bref, une certaine division s’installe. Les plateformes ont initié un débat pour creuser les différences et arriver a un consensus entre ces points de vue si diverses. Ils proposent 4 axes de discussion: réforme électorale, lutte contre la corruption, séparation des pouvoirs et contrôle citoyen des élus.
Les commerçants s´inquiètent aussi, étant la Puerta del Sol l’épicentre du tourisme madrilène, ils voient comment leurs chiffres d´affaires diminuent à grande vitesse.
Tableau de Goya adapté a ses reivindications. 'Capitalisme Sauvage'.
Les ‘acampados’, eux, persistent. Prochaine étape: propager les Assemblees dans les quartiers de la capitale, essayer de discuter et de résoudre les problèmes de voisinage… Leurs banderoles demandent «regarder moins la téle et sortir dans la rue pour s’entreaider», selon Café Babel.
El Cruasan Ambulante est allé à Madrid voir de près cette ‘Évolution espagnole’ (marre du mot Révolution). Et le plus surprenant c´est peut être leur organisation. Les campeurs ont même une commission du Respect qui veille au civisme mais aussi au bien être des manifestants en leur proposant des massages!
La Bibliothéque ete ses régles de conduite.
On retrouve plusieurs cantines, une bibliothéque une commission chargée des rélations avec la presse … Même des soirées cinema.
Tout ça en plein coeur de Madrid, a deux pas du très joli palais de la présidente de la région.
Le bâtiment de la Comunidad de Madrid entouré par les manifestants
Ce campement de luxe est surtout soumis à une réflexion de fond sur les dysfonctionnements de la ‘Démocratie du marché’ actuel. Ils proposent des initiatives toutes fraîches en assemblées et construisent un réseau de débats sur Internet.
Il y'a même un jardin avec des légumes dans une fontaineWifi gratuit pour les campeurs.
C’est le chemin qu’ils ont choisis. Ils ne se sentent concernés par la victoire de la droite et s’inquiètent peu des critiques des différents mouvements. Ils ne veulent surtout pas de leader.
Ils ne sont pas pressés. Leur lutte (Toujours pacifique, pour éviter de se mettre la commission du Respect dans le dos) est un plan à long terme.
Lyon ne veux pas voir sa jolie place Bellecour transformée en petite place Tahrir.
Cette nuit la police a dégagé les quelques 150 personnes qui campaient. Des moments tendus. Voici un des commentaires laissé à ce sujet par un Cruasán/a. (Merci, d’ailleurs)
«Ce lundi 23 mai 2011, à LYON :
Après nous être rassemblés à partir de 19h, avoir discuté et partagé un grand repas, une trentaine de CRS épaulés par la BAC nous ont évacué avec force vers 23h15 (nous étions assis pour poursuivre nos échanges sereinement, lorsqu’ils nous ont encerclé et chassé en nous soulevant, tirant les cheveux, etc). Environ 150 personnes présentes. Pas d’arrestation.
On reviendra demain [aujourd’hui, ndlr] à partir de 19h, et après demain et ainsi de suite, pour nous réunir, parler et vivre une véritable démocratie, celle-là même que l’Etat nous refuse.
Le Post raconte aujourd´hui comment la police est aussi intervenue à Montpellier. Comme quoi il surveillent de près le site Réelle Democratie, créé pour expliquer ce drôle de mouvement en France, écris en français.Impressionnant rassemblement à Berlin. http://democraciarealyaberlin.com/ via la journaliste espagnole Olga Rodríguez
Un ami français me disait récemment que ce serait très difficile qu’un tel mouvement prenne en France. Car même si les français ont bel e bien l’habitude de manifester, c’est toujours accompagnés par les syndicats et où des partis politiques. «Ils ont le monopole des mobilisations» disait-il.
Hier, au coeur du rassemblement à Puerta del Sol, à Madrid, je pensais aux différences entre la police française et l’espagnole. Après la minute de silence quotidienne, à minuit, 1.000 personnes étaient encore sur place entourées par deux seules voitures de police. Ambiance complètement calme.
On voit bien que les autorités françaises ne comprennent pas ou ne sont pas prêtes à autoriser un rassemblement citoyen spontané, même s’il est pacfique. L’article du Post laisse comprendre que ces rassemblements sont juste un attentat à l’ordre public pour les policiers.
Et pourtant, les protestations continuent de se répandre.
sylvaincherkaoui.com "Ton âme pour un prêt immobilier"
En l’espace d’une semaine: la révolte? La révolution? … bref, ce truc de dingue qui se passe en Espagne depuis le 15 mai prend une ampleur qui surprend tout le monde et rejouit la plupart. Pourtant le moment est délicat: les élections régionales, c’est demain!
Même si tout acte politique est suspendu à 24 heures du scrutin pour bénéficier d´un temps de réflexion, les ‘acampadas’ et les concentrations continuent de pousser comme des champignons, en Espagne et dans le monde entier… Pour preuve, la carte des manifs en cours ou en préparation.
Hier soir à la Puerta del Sol, au coeur de Madrid, 30.000 personnes ont démarré la dite «journée de réflexion» avec une minute de silence. Des moments éléctriques qu’on a pu suivre avec 30.000 autres personnes connectées sur Internet, accrochées au live streaming.
En principe, les rassemblements sont interdits aujourd’hui. On vous avait déjà parlé de la Junta, l’autorité électorale. Ses membres trouvent que les protestations pourraient influencer l’esprit de vote.
Mais les manifestants n´ont pas l’air de vouloir quitter la Villa de l´Indignation.
sylvaincherkaoui.comsylvaincherkaoui
Le Gouvernement a fait comprendre que la police n’interviendrait que s’il y avait des débordements. Les policiers, de leur côté, refusent d´affronter des milliers de personnes, de tout âge. Beaucoup d’entre eux comprennent bien le ras-le-bol.
De leur côté, les manifestants jouent le jeu, en partie. Si depuis hier soir aucun flyer politique n’est distribué, les banderoles et les chants continuent de dénoncer haut et fort le système politique et les deux grands partis nationaux.
sylvaincherkaoui.com
Ils ont décidé de ne pas boire de l’alcool pour éviter les soucis qu’on connais tous, pour montrer que ce mouvement veux un changement, que c’est une réflexion serieuse.
Aussi pour démontrer que ces rassemblements ne sont pas liés a la bien connue inclinaison des espagnols a faire la ‘teuf’.
La place Tahrir espagnole (allez, n’ayons pas peur des clichés) est devenue une ville à l’intérieur d’une ville, service de garderie pour enfants inclu, des assamblées et commissions autogérés…
Les plateformes signent déjà des manifiestos et postent des propositions sur leur site. Le but étant toujours le même: avoir une vraie démocratie maintenant:Democracia Real Ya!.
Les médias, accusés en début de semaine d’ignorer les manifs, ne parlent plus d’autre chose. En pleine campagne, ils limitent même la couverture des meetings électoraux dans les JT. Côté international, aujourd’hui ‘Spain’ était le mot le plus recherche sur le site du New York Times.
En Espagne les politiciens ont été relégués au second plan. Les gens (pas que les jeunes, pas que la gauche, pas que les geeks) ont volé la vedette dans cette campagne d’ores et déjà historique.
sylvaincherkaoui.com
Ça a été marrant de voir comment la classe politique essayait d’abord de comprendre, paumés dans l’incertitude. Puis d’agir en un deuxième temps: la plupart dit ‘comprendre’ les raisons de la grogne.
Après il y a les cas insolites. Comme celui de la ‘présidente de la communauté urbaine de Madrid’, conservatrice du Parti Populaire, qui croit (ou veut faire croire) que le mouvement est juste contre elle.
La presse de droite accuse la #spanishrevolution de violer la loi et de vouloir instaurer la III République, rien à voir. On veut croire que c’est des exceptions.
En théorie, cet inédit mouvement de masses va favoriser la droite et provoquer la débacle des socialistes (au pouvoir depuis 2004). On verra dimanche soir et lundi.
Mais pour le moment, les vrais gagnants sont les citoyens espagnols. Emus face à l’espoir incarné dans ces protestations. Indignés enfin avec le taux de chômage, la baisse du pouvoir d’achat, la crise du logement et l´spéculation (200 candidats aux élections sont inculpés formellement dans des affaires de corruption).
Beaucoup de questions se posent autour de ce mouvement, mais pour la plupart des impliqués, pour tous ceux qui occupent désormais les trottoirs avec leur duvet, le plus important est qu’enfin ça bouge!
Nous sommes le jeudi 19 mai et le mouvement dit du «15 mai» a bien évolué depuis.
Vue de la Puerta del Sol. Madrid #nonosvamos #notenemosmiedo. sylvaincherkaoui.com
Mardi dernier, nous avons publié un article en français, vu le manque d´intérêt des médias francophones au sujet de la ‘Spanish Revolution’. Obnubilés par les péripéties de DSK, l’homme qui a pris la douche la plus chère de l’Histoire.
Il faut dire qu´ils se ratrappent petit à petit. Malgré les difficultés de certains journalistes, Espagnols compris, à définir ce ‘Mai 2011’ Espagnol.
sylvaincherkaoui.com
Ces manifestations ne sont pas un mouvement antisystème classique. » Je ne suis pas ‘antisystème’ c’est le systéme qui est ‘antimoi’, hurlent les manifestants. Un cris de guerre repris de l’oeuvre du génial dessinateur de presse El Roto, de El País. (Découverte grâce à Zoé de Kerangat).
Ce n’est pas non plus un mouvement anti droite, même si la presse conservatrice essaie de défendre le contraire. Les plus virulents parlent d’un mouvement lié aux independentistes de l’ETA… une idée complètement à côté de la plaque.
Ce n’est pas non plus un mouvement ‘de jeunes’. Toutes les tranches d´âge se concentrent désormais dans les camps urbains. C´est tout simplement du ras-le-bol face aux marchés financiers, à la corruption et à une classe politique décevante.
La diversité des banderoles donnent un bon aperçu de l’ambiance: ‘ils ne nous représentent pas’, ‘les mesures d’austérité appliquez-les dans vos conflits armés’, ‘la vraie violence est celle qui te fait gagner 600 euros/mois’, ‘si vous nous laissez pas rêver on ne vous laissera pas dormir’, ‘mains dans l’air, ceci est un contrat d’embauche’ etc.
Sur Twitter, le tweet classique qui faisait fureur pendant les révolutions arabes est de retour: ‘Democratie 1.0 pas actualisée. Mise a jour democratie 2.0″
Le site lyonnais Rebel Lyon à posté le manifeste du mouvement ‘Democracia Real Ya’, une bonne initiative, mais pas la seule: la révolution espagnole se constitue de multiples plateformes.
Retour au dernier post Cruasán. Qu´est-ce qui s´est passé depuis? Les images précieuses du photographe français Sylvain Cherkaoui illustrent l´actualité. L’Album complet c´est par ici.
Mardi 17/05/2011. 5h. du matin. Délogement musclé du campement de Puerta del Sol.
sylvaincherkaoui.com
Mardi 17/05/2011 à 20 heures. Les indignés s’indignent encore plus. La Puerta del Sol est pleine à craquer. La police libère vingt personnes interpellées la veille, accusées des divers delits.
sylvaincherkaoui.comsylvaincherkaoui.com
Face à un tel rassemblement, totalement pacifique, la police est démunie. Zero incidents. Les ‘acampadas’ se repandent un peu partout en Espagne
Mercredi 18/05/2011. Vers 17 heures, nous apprenons que la ‘Junta’ Électorale, (l’autorité électorale) interdit la concentration de Puerta del Sol. La raison? Le mouvement «risquerait d’influencer le vote des élections régionales du dimanche 22 mai.»
Rigolade générale sur les réseaux sociaux, appels à renforcer la mobilisation. Le #nonosvamos (on s’en va pas) change au #notenemosmiedo (on n’a pas peur). Mission accomplie. La superbe photo qui ouvre ce billet en fait preuve.
Les manifestants passent une quatrième nuit sur la place, malgré une pluie persistante. Une fois de plus: zero incidents.
Les ‘acampadas’ se manifestent aussi à l’internationale, dans les Ambassades et consulats espagnols de Londres, Paris, Rome, Buenos Aires et j’en oublie sûrement. Des citoyens du monde entier se solidarisent: des manifestations ont été convoquées à Vienne, Bruxelles et même au Mexique.
Les plateformes citoyennes appellent à ne pas arrêter les initiatives le 22 mai, jour des élections regionales. La capacité d’organisation est tout de même remarquable: groupes Facebook, ‘hashtags’ sur Twitter, blogs, et même du ‘livestreaming’ qui permet de suivre l´actualité en temps réel.
Voilà où on est!
Et pour finir en beauté, c’est toujours bon de se poser et réflechir… bercés par la ‘Suite Espagnole’ d’Isaac Albéniz.